Le cinéma documentaire se voulait le fruit d'un artisanat furieux, à l'écart du marché. De cette liberté des formes, les télévisions, principaux financeurs, ne veulent plus. Elles imposent des normes (commentaires redondants et montages accélérés) qui stérilisent les films diffusés et ceux qui aspirent à l'être. Une certaine tendance au conformisme s'impose. Il faudrait à la fois se conformer et donner le change en passant pour «neuf».
Dans les années quatre-vingt, j'ai renoncé au cinéma «de fiction» et lui ai préféré le documentaire pour sa liberté. C'est en documentaire que la parole filmée prend force et beauté, que les corps filmés, quels qu'ils soient, acquièrent une dignité - celle dont les serviteurs du marché se moquent.
Dans sa première rencontre avec le cinéma de Kiarostami, le public européen découvrait un Iran profond : une vision contemplative, donc à distance, célébrant l'enfance et les villages, la vie dans un présent intemporel, comme intouchée par l'existence moderne. Complexe dans cette apparente simplicité, l'oeuvre d'Abbas Kiarostami connaîtra une transformation radicale. Il n'est plus alors un réalisateur «?iranien?», mais un cinéaste et photographe international. Animé par l'intranquillité qui l'engage à prendre la route, il semble être partout chez lui, avec le même détachement esthétique, sa sérénité, sa disponibilité, son ouverture. Ce livre reprend et rassemble les deux ouvrages de l'auteur sur l'oeuvre de Kiarostami publiés en 2001 et 2012. Il comprend un dialogue avec le réalisateur et photographe.
Daech filme la mort de ceux qu'il torture. Filmer la mort?? Daech le fait en recourant de manière systématique aux effets visuels les plus spectaculaires, imités des films d'action hollywoodiens. Mieux encore?: Daech dispose d'un studio de production et maîtrise parfaitement toutes les techniques numériques. Ses films, censurés ou non, sont diffusés en permanence sur la planète entière. L'«?ennemi de l'Occident?» utilise les moyens et reprend les formes employés en Occident, et par là, il se tient au plus près de nous. Non seulement Daech achète et vend, exploite, spécule et asservit, mais, allant plus loin que nous, il réalise l'alliance macabre et contre nature du cinéma et de la mort. J'ai voulu comprendre cette extravagance propre à notre temps.
Cet « autre monde », que Christian Garcin nous laisse entrevoir ici, nous le devons à l'histoire étrange qui s'est tissée autour du Cerf courant sous bois de Gustave Courbet. A-t-il vu le tableau ou une simple reproduction - voire : ce tableau qui, selon ses mots, l'a « proprement saisi » existe-t-il vraiment ? « Il s'était évanoui. J'avais l'impression de me trouver au coeur d'une forêt impénétrable de correspondances rompues, de mystère et d'incompréhension. J'avoue que cela m'enchantait plutôt... Mais en attendant il s'agissait à proprement parler d'un tableau-fantôme, enfui, évanoui. »