Un homme vit paisiblement à la campagne avec sa femme Livia, son chien Pablo et le chat Lennon. Pour cet écrivain parvenu à l'aube de la vieillesse, l'essentiel n'est plus tant dans ses actions que dans sa façon d'habiter le Monde, et plus précisément dans la nécessité de l'amour. À intervalles réguliers, il reçoit la visite de son frère malheureux, éprouvé par la schizophrénie. Ici se révèlent, avec une indicible pudeur, les moments forts d'une relation fraternelle marquée par la peine, la solitude et l'inquiétude, mais sans cesse raffermie par la tendresse, la sollicitude.
À ce moment je me suis dit pour la première fois qu'il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d'une tache jaune. Oui, c'est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l'or et la lumière de l'esprit s'échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.
Jean-François Beauchemin est écrivain depuis plus de vingt ans. Tous ses livres, dont plusieurs ont été récompensés de prix prestigieux, interrogent l'âme humaine, s'étonnent de la vie de l'esprit, s'émerveillent de l'activité des sens, s'émeuvent de la beauté du monde. Le Roitelet est son vingt-troisième ouvrage.
Au coeur de la forêt, à l'écart du reste des hommes, un père et son jeune fils mènent une existence sauvage, dure et désolée, semblable à celles des bêtes qu'ils côtoient. Un jour, l'inévitable collision entre cette réalité et celle du monde civilisé se produit, et le fragile édifice mental construit par eux se lézarde, puis s'écroule.
Au coeur de ce récit, pourrait-on dire autobiographique, palpite une amitié : celle d'un homme et de son chien, tous deux mus par une intuitive et mutuelle compréhension. S'y tissent doucement les contours de leur attachement profond, ainsi qu'une réflexion sereine sur l'inexorable passage du temps. À cette confession s'entremêle bientôt le souvenir ému des proches disparus, dont l'absence prolongée dans la mort laisse présager celle, à venir, du fidèle compagnon. Mais qu'on ne s'y trompe pas : tout entier tendu vers la lumière, cet assemblage sensible d'images présentes et passées n'a d'autre objectif que la secrète célébration de la beauté du monde et de l'existence.
J'étais assis sur mon banc préféré, au milieu du petit parc, lorsqu'un inconnu est venu s'asseoir à son tour pour se confier à moi. Son récit m'a ému surtout par son caractère unique et, je dirais, son pragmatisme rêveur : c'était une histoire vraie, mais en quelque sorte tapie dans les angles morts de la réalité. Je songeais, en le regardant ensuite s'éloigner, que des milliers d'anecdotes tout aussi passionnantes attendaient sans doute d'être racontées. L'idée m'est alors venue de provoquer les choses en ce sens. Pendant trois ans, chaque semaine ou presque, je suis retourné m'installer sur ce même banc. Lorsque quelqu'un venait m'y rejoindre, je lui demandais s'il avait une histoire de ce genre à me raconter. Les témoignages, peu nombreux au début, ont au bout d'un temps commencé à affluer. C'est comme ça qu'est né ce livre, qui est une espèce d'anthologie de l'improbable. Car il faut bien, un jour ou l'autre, assumer que la goupille carrée de certains faits n'entre pas tout à fait dans le trou rond de la réalité.
Du fond de sa cellule, un condamné à mort écrit les quelques pages qu'il souhaite laisser en témoignage. D'abord aux prises avec la justice des hommes, c'est aux lois de sa propre lucidité qu'il se soumet à présent. L'essentiel lui apparaît bientôt : cette prison de pierre où on l'a mis n'est rien. C'est à une autre cage qu'il réfléchit, plus profonde et plus obscure, dans laquelle s'enferment eux-mêmes ses frères humains, et qui est l'équivalent d'un « ajournement du bonheur », un « désaveu envers la terre qui porte les hommes ».
Car ce roman allégorique, où résonne une voix intime, mais faisant alliance avec l'universel, est aussi une réflexion sur la place de l'homme dans le monde. C'est peut-être surtout, par l'évocation d'une certaine figure qui le traverse de bout en bout, une authentique histoire d'amour.
Par le jeu de la fiction, Jean-François Beauchemin commet un crime grave qui le repousse dans ses derniers retranchements. Le lecteur, en quelque sorte invité à entrer dans l'esprit de l'auteur, partage avec lui le fruit de sa réflexion. Un livre d'une grande force, un trait de plus donné à l'étonnant portrait du genre humain patiemment élaboré depuis quelques années.
D'un côté, il y a un père bricoleur grand amateur de Bach, de l'autre, il y a une tribu de six enfants (cinq garçons et une fille), tous nés à un an d'intervalle, et entre les deux, une mère qui brûle systématiquement le roastbeef. Voilà les principaux acteurs de ce roman qui raconte le quotidien d'une famille bigarrée et qui s'intéresse à cette formidable «course à relais générationnelle» qui fixe l'identité des individus.
Laissée pour compte par un père pas très doué pour la communication, la tribu constituée de Jacques, Christiane, Pierre, Jean-François, Jean-Luc et Benoît, n'a d'autre choix que de chercher la vérité avec les moyens du bord et d'appréhender le réel en « masse compacte ». La force et la cohésion du groupe face à un homme seul crée chez ces êtres espiègles le goût de faire les choses autrement, à suivre d'autres chemins que celui qui leur est tracé. C'est grâce à l'un des membres de cette sympathique tribu - témoin on ne peut plus privilégié de la mécanique familiale - , qu'on a accès au processus de la «mue» de l'enfance à l'âge adulte par un regard à la fois rétrospectif, introspectif, mais surtout tendre sur la filiation.